Le soleil inonde les récents tableaux de Laurent Proux réalisés à la Casa de Velázquez. On imagine que le climat de Madrid n’est pas étranger à ce coup de soleil qui donne un tour nouveau à son art. Ses grandes peintures trempées de soleil jouent d’intensités naturellement contradictoires. La lumière y ruisselle, baigne toute chose d’une aura ou, au contraire, découpe et incise ombres et figures. L’exposition Sunburn met ainsi les pleins feux sur deux types de situations, a priori aux antipodes : d’un côté, des nus s’ébattent dans la nature, tandis que de l’autre, des personnages travaillent dans des ateliers de tissage ou de couture. Deux mondes se côtoient, se toisent, l’un fantasmatique, l’autre réaliste. La lumière joue un rôle essentiel, dramatique : Proux imagine en effet des dramaturgies contrastées, oscillant entre naturalisme et surnaturel. Les corps semblent ainsi pris dans les rais et les rets d’une force physique invisible. Une tension règne, dont la lumière est à la fois l’opérateur et le révélateur.

L’exposition
Sunburn nous transporte dans un monde familier et discordant, en surchauffe. De grandes scènes flamboyantes, d’un format spectaculaire, traitent de sujets simples : l’érotisme et le travail. Ces deux thèmes touchent au cœur même de nos existences individuelles et sociales, chacun·e s’y reconnaît. « Personne n’imagine un monde où la passion brûlante cesserait décidément de nous troubler. Personne, d’autre part, n’envisage la possibilité d’une vie que le calcul jamais plus ne lierait. (1) » La « passion brûlante », d’un côté, la raison productive et ses calculs, de l’autre. Force est de constater que la peinture de Proux brûle et s’illumine d’intensités le plus souvent crépusculaires. Les deux séries reflètent cette répartition naturaliste. Chacune a son éclairage. Stylisées, les bacchanales se situent dans un décor imaginaire, tandis que les ateliers trahissent leur source concrète, photographique, l’artiste réalisant depuis ses débuts des photos de lieux de socialités spécifiques, à visée documentaire. Sunburn offre le spectacle d’une peinture enflammée mais concrète : les personnages y sont tout à leur affaire, absorbés dans leur activité respective, nudité sexuelle pour les uns, travail sur des machines pour les autres.

Le soleil est le chef-opérateur de l’exposition : ses œuvres, que l’on pourrait dire photosensibles, irradient une énergie paradoxale, affichant une étrangeté au sein de compositions claires et frontales. Le rayonnement astral vient perturber l’évidence première d’une scène. Œil mobile et indiscret, le soleil pénètre au cœur des situations, s’insinue entre les corps, qu’il retourne, embrassant plusieurs points de vue à la fois, dessus, devant, derrière, tels les nus des bacchanales bucoliques. Proux manie l’éclairage comme un peintre baroque ou classique, à moins que ce ne soit comme un metteur en scène, qui construit un espace scénique précis, avec son action, son ambiance et ses personnages. Une activité peut en cacher bien d’autres.
[…]


Anne Bonnin



_
1. Georges Bataille, Les Larmes d’Éros, 1961