Semiose a le plaisir de présenter la seconde exposition des œuvres d’Oli Epp. Spécialement conçue pour les trois murs de la Project Room, cette série intitulée « Black Swan » relève de préoccupations personnelles et liées à l’époque, entrelaçant en peinture des anecdotes sensibles et des théories contemporaines.
Comment est venue l’idée de vous concentrer sur le motif du cygne ?
Je suis tombé sur un article de journal à propos d’une mère cygne morte d’un chagrin d’amour. Un groupe de jeunes vandales a attaqué à coup de pierres et de briques le nid qu’elle partageait avec son partenaire, brisant leurs œufs non éclos. Les cygnes sont connus pour s’accoupler pour la vie, pourtant le mâle a été tellement stressé par l’attaque qu’il est parti. La femelle, après avoir vu ses œufs détruits et son partenaire la quitter, a été retrouvée morte dans son nid le 20 mai 2020.
Cette histoire m’a beaucoup fait penser à l’amour, à l’intimité et au chagrin, et la manière dont cela peut s’étendre au-delà du genre humain et tout affecter.
Par ailleurs, le cygne noir est une métaphore pour la prémonition, l’angoisse devant un évènement imprévu aux conséquences catastrophiques, tel que le décrit Nassim Nicholas Taleb dans son essai Le Cygne noir : La puissance de l’imprévisible (2010). Nous sommes en train de vivre actuellement un épisode « cygne noir ». L’impact du coronavirus a irrévocablement changé notre monde, à l’heure où nous continuons de naviguer dans le chaos qu’il a provoqué et que le confinement est progressivement levé. Ces peintures reflètent l’époque actuelle.
Avec un rideau en guise de fond, leur mise en scène théâtrale suggère un évènement qui n’est pas réel, un drame trop surréaliste pour être vrai, ce à quoi la vie ressemble ces jours-ci. L’évènement « cygne noir » occupe le centre de la scène, pendant que tout le reste a été suspendu et mis de côté.
La série comporte trois tableaux. Comment les peintures s’articulent-elles les unes aux autres ?
La série fonctionne en crescendo : le cygne noir mute d’un animal simple à un monstre à deux puis trois têtes pendant que le visiteur se déplace d’une peinture à l’autre.
Dans Shield, la mère cygne surveille son œuf blanc. Elle regarde le spectateur en face, ailes relevées, prête à défendre et à attaquer. Dans Omen, le cygne à trois têtes prend une qualité de dominant et résume l’étrange monstruosité de l’animal hybride. Les pierres vertes autour des pattes du cygne donnent l’impression qu’il prend part à une sorte de rituel, une cérémonie de danse ou un acte de divination. Cette peinture en particulier est celle qui rend le mieux l’idée d’un évènement imprévisible, la théorie du cygne noir.
Pourquoi est-ce que le rideau de fond revient régulièrement dans vos peintures ?
J’aime l’idée de mettre en scène de manière théâtrale les animaux et les figures. C’est une façon de leur prêter une plus grande attention en les plaçant au point focal. Cela suggère également un évènement qui a été dramatisé ou qui n’est pas réel. Mes œuvres évoluent habituellement dans un espace hyper-réaliste, dans lequel les évènements qui se déroulent à l’intérieur de la peinture semblent surréalistes ou absurdes. L’emploi du rideau comme fond renforce encore cet effet.
Qu’est-ce que le changement de direction de votre iconographie, des humains vers les animaux, annonce-t-il ?
J’ai senti que j’avais passé beaucoup de temps à développer ma peinture figurative et j’étais prêt à aborder une nouvelle série qui n’inclurait pas d’éléments considérés comme des marques de fabrique de mon style, tels que les figures humanoïdes ou des logos. Cela représentait un nouveau défi de penser comment les animaux pourraient habiter un espace virtuel et peint ; comment la nature pourrait être reformatée dans mon esthétique « digitale pop post-internet », comment mon langage visuel pourrait altérer les formes des animaux, leurs couleurs, etc. C’est ainsi que je me suis retrouvé à créer d’étranges animaux hybrides : prendre des éléments connus et les emmener dans l’inconnu de la peinture.
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