Pour ses 20 ans, le centre d’art La Maréchalerie à Versailles célèbre « La grotte de l’amitié ». L’exposition s’entend à la fois comme un retour d’expériences et une forme d’incantation à destination des générations d’artistes à venir.
« La grotte de l’amitié » fourmille d’esprits bienveillants. Celui de Kurt Schwitters, fondateur du « Merzbau » ponctué de cavités pareilles à de petits sanctuaires , plane sur la conception scénographique de l’exposition. De Miralepa (1040-1123), ermite tibétain si inspirant pour Jean-Jacques Rullier à la maison de Gianni Pettena sur l’île d’Elbe, la grotte en cire de Wolfgang Laib dans les Pyrénées orientales, la « Dream machine » de Brion Gysin réactivée selon les procédés laissés en open source par son clairvoyant auteur, le public est pris dans un tourbillon de figures inspirantes. « La grotte de l’amitié » fait aussi écho à des projets marquants comme l’exposition « Circus Hein » au Frac Centre – Val de Loire en 2010 qui avait rassemblé autour de Jeppe Hein artistes et amis dans une vaste structure circassienne. Les œuvres s’accordaient sur l’importance des échanges artistiques, et, au-delà, sur comment « faire lien » à travers l’art contemporain ? Or, cette question est rarement envisagée sous l’angle de l’espace ; comment certains lieux rendent possibles des rencontres ou génèrent des communautés artistiques ? Avec l’aide précieuse d’Alex Balgiu, il s’agit de mettre en lumière des précédents à travers le « Temple de l’Amitié » de Natalie Clifford Barney (1876-1972) ou les cartographies de Fluxus de Mieko Shiomi.
L’exposition est parcourue de zones d’intensités variables, « placées non plus devant soi, dans l’avenir comme un but, mais déplacées dans le passé, comme une origine ou un foyer » , comme constitutives des forces en présence. La sculpture « How to Have Sex in an Epidemic: Second Approach » (2022) de Ben Orkin fait s’emboîter des structures osselets, résidus de corps indistincts. Le film « Tombereaux » de Balthazar Heisch renvoie à un sanctuaire primitiviste qui s’adresse « à des entités sans corps, ou disons à d’autres types de présences ». Celles- là même convoquées par Marie Bette dans ses structures érigées en laine de mouton et d’alpaga « Les » transpercées d’énigmatiques œilletons. Laurent Le Deunff qui a déjà métamorphosé plusieurs centres d’art rejoue l’ambiance troglodyte aux côtés du créateur olfactif Daniel Pescio. Avec « Aura Loci, activation #1 » (2022) Charlotte Charbonnel capte l’esprit d’une excavation, parfaitement datée par la présence
d’iridium, associé à l’impact d’une grande météorite, voici 65 millions d’années. Quant aux scarifications sur bois « Les Martyrs » de Vincent Ganivet, elles redonnent à la grotte sa place de lieu où s’échafaude le premier signe d’une sensibilité.
Par sa constitution géologique, sa stratification, et la stabilité de son écosystème, la grotte renvoie étonnamment aux prémices de l’entité muséale. Avec l’Inventeur qui n’est autre que le terme désignant le découvreur d’une grotte, la parenté avec l’artiste se fait plus prégnante encore (Amélie Lucas- Gary, Grotte, 2020). Au sein du centre d’art qui tient lieu de refuge, d’espace de production et de diffusion, se cultivent des « liens » parfois à grands renforts de médiation. Cette exposition appelle à doubler le monde visible d’un monde invisible qui en serait l’architecture secrète. « La grotte de l’amitié » célèbre ainsi 20 ans d’échanges féconds entre le centre d’art La Maréchalerie, les artistes, l’ÉNSA Versailles et son public.
Artistes : Axel Balgui, Marie Bette, Charlotte Charbonnel, Vincent Ganivet, Brion Gysin, Balthazar Heisch, Laurent Le Deunff, Amélie Lucas-Gary, Ben Orkin, Daniel Pescio, Gianni Pettena et Jean-Jacques Rullie
Commissaire de l’exposition : Alexandra Fau