La Salle de bains est heureuse de présenter El astro de la suela, Geste bleu, Le village lanterne, Untitled 2021, Distorsions on glass, Panamam tombe, Rature, Shrouded & Marmelade, Phà! Phà!, Le groove de Chloé, Bells of the wittery champ, Chenille, par Julien Tiberi.

Parmi les idées qui transitent à très haut débit dans l’esprit de Julien Tiberi, il y avait celle d’une exposition comme un festival de musique, présentant les œuvres telle une liste de groupes invités, ou alors un disque, dont les œuvres composeraient les différentes pistes.
On pourrait les écouter dans un ordre puis dans un autre, où elles dévoileraient des aspects et des détails que l’on n’aurait pas entendus à la première écoute. On entrevît aussi, pendant une période de confinement, une exposition comme une fête dansante, convoyant l’image d’une immense queue leu leu pour célébrer des retrouvailles et conjurer le sort.

Au milieu, demeurait une certitude quant à la présence d’une « sculpture sonore muette » signant le goût de l’artiste pour les effets conjugués de l’oxymore et de la synesthésie. Exaucée dans cette longue ligne modulable faite d’un tissage d’un millier de grelots, c’est de manière inattendue qu’elle implique aussi un geste de dessin (dans l’agencement de la forme finale et le guidage du fil dans les anneaux). Son titre, en apparence dépréciatif, désigne au contraire la technique préférée de l’artiste, par laquelle la main, entraînée par un rythme, prend les commandes du dessin dont le sujet apparaîtra de lui-même, entre les lignes. Il est probable que l’intérêt se soit d’abord porté sur les propriétés formelles de l’objet (une forme close renfermant un son) avant d’évoquer les figures carnavalesques, créatures entre deux mondes et êtres non-humains dont la clochette est l’apanage. Son tintement signale traditionnellement le passage d’un seuil, de l’ordinaire à l’étrange, du réel à l’illusion et inversement, où, l’on s’en doute, l’artiste aime à faire des va-et-vient. 

Il tient désormais de l’évidence que la production artistique de Julien Tiberi est alimentée par ce courant alternatif qui passe de la musique aux arts plastiques en contaminant chacune des pratiques. Ainsi, la peinture intitulée Phà ! Phà ! ne serait pas sourde à l’influence de la Maloya réunionnaise dont l’artiste se fait enseigner les rythmes. La Maloya est une musique originaire d’Afrique de l’Est qui accompagnait des rituels à l’adresse des morts (le kabaré) et les complaintes des esclaves ; elle fut prohibée par les administrations coloniales françaises redoutant son pouvoir émancipateur. Si cette peinture est peuplée de fantômes, tant elle résulte d’une superposition d’états et de formes recouvertes, on notera comme souvent le caractère anecdotique du premier plan, telle une distraction de courte durée redirigeant le regard vers d’autres zones du tableau.

C’est ainsi que fonctionne, selon l’artiste, la situation liminaire à laquelle ce texte en vient en dernier lieu, alors que le.la lecteur.ice en attendait certainement des explications. L’on pourrait ici s’en remettre aux considérations d’Alfred Hitchcock à l’égard du Macguffin, cet élément annonciateur de l’intrigue que le cinéaste a toujours pris soin de négliger pour contrarier le public et se défendre de justifier chaque plan du film par un argument cohérent. Bien sûr, le champ contre-champ de l’exposition, placé à la perpendiculaire du miroir, laisse libre d’apprécier la primauté de ce qui se passe au sol ou sur l’estrade. Mais c’est encore par goût pour les jeux d’inversions que l’artiste fait apparaître au premier regard ce qui serait pour lui un angle mort de son travail (jusque là peu connu pour son usage de la performance ou du ready-made), même si ces mannequins libérés de leur fonction de présentoir ne sont pas sans évoquer une scène de danse ou de cabaret parmi les thèmes de prédilection de l’artiste. Du reste, l’on peut voir cet étrange tableau à demi vivant comme la théâtralisation d’une situation d’exposition, de ses conventions et des attentes qu’elle place, en particulier dans le rôle du.de la médiateur.ice.