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Semiose a le plaisir de présenter dans la Project Room de la galerie une exposition personnelle de Guillaume Dégé, à l’occasion de la parution cet automne de sa monographie Un grain de moutarde aux éditions Semiose.
« L’œuvre dessiné de Guillaume Dégé semble n’avoir ni début ni fin, tant l’imagination qu’il y déploie apparaît inépuisable. Il semble aussi n’être d’aucune époque et de toutes à la fois. Cette conjoncture résulte de la manière de travailler de l’artiste. [...] Les moyens sont simples (aquarelle, crayons de couleur et/ou gouache), déterminés avec réflexion en amont de l’exécution, et les effets modérés, l’utilisation de couleurs acidulées, certes parcimonieuse, étant la seule exubérance de ces dessins. Car rien ne les annihilerait plus que la surabondance d’effets visuels : la mise en relation de deux éléments, rarement plus, est suffisamment féconde et puissante pour faire passer tout autre détail pour de l’anecdote. C’est par l’image que Guillaume Dégé aboutit à une autre image, comme s’il dépliait la mémoire du monde à travers ses représentations antérieures. Il n’y a aucune nostalgie pour l’illustration d’antan ni la volonté d’injecter du sens dans une société, où l’image est surproduite et surconsommée. L’artiste badine dans son coin avec les êtres, les choses et les situations, un sourire taquin aux lèvres.
[...] Du domaine de l’illustration, Guillaume Dégé a conservé le principe d’économie de la page et du travail graphique. La clarté de la pensée et la propreté du geste ressortent immédiatement sur le papier. Il n’y a cependant plus de texte. Il n’y aura pas de texte. La vaste réserve entourant le dessin pourrait laisser supposer une importation à venir du motif dans un environnement qui lui donnera son sens et sa valeur, mais elle n’aura pas lieu. Aucune page à tourner non plus. Le dessin peut enfin être seul. Il prospère, en majesté sur son support, et il ne connaîtra plus la fatalité de la reproduction.
[...] Au fil des dessins, se dégage un répertoire de formes organiques : la faune, la flore, les organes humains, tous représentés par des corps mous et souples, translucides, au volume légèrement suggéré et parfois finement tramé – comme les tailles croisées d’un aquafortiste –, des dessins qui semble jaillir d’une main qui dessine presque seule. [...] Ce lexique de formes, peut-être celui d’un être qui dit ne pas savoir dessiner et qui se repose sur des motifs familiers, qui viennent facilement comme les mots d’un langage qu’il aurait inventé, est une charnière entre les dessins. Il est parfois leur objet même. Il devient par exemple paysage à l’aquarelle sur des feuilles de papier ligné qui posent un horizon – tiré de livres de comptes ? – et créent déjà de la narration. D’autres dessins au crayon de couleur plus épurés encore, car le support n’offre plus d’attache, affirment l’autonomie de ces formes qui ont également été récapitulées dans des planches d’inventaire en 2013, comme un herbier. Leur récurrence, leur intimité et leur malléabilité font que le dessin de Guillaume Dégé dit encore quelque chose de lui-même lorsque toutes les ressources ont été épuisées. »
Laurence Schmidlin
Extraits de l’essai de Laurence Schmidlin au sommaire de la monographie de Guillaume Dégé parue en septembre 2020 aux éditions Semiose.
Historienne de l’art spécialisée dans les domaines du dessin et de l’estampe, Laurence Schmidlin est conservatrice au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (CH) depuis 2017, où elle a organisé cette année les expositions «Kiki Smith. Hearing You with My Eyes» et «Jorge Macchi. La Cathédrale engloutie». Entre 2013 et 2017, elle a été directrice adjointe du Musée Jenisch Vevey et conservatrice du cabinet cantonal des estampes à Vevey (CH), où elle a notamment organisé les expositions «David Hominal» et «La Passion Dürer». Elle a signé de nombreux ouvrages, dont Spacescapes – Danse & dessin depuis 1962 (JRP Ringier, 2017) avec Sarah Burkhalter, ouvrage collectif qui articule essais et entretiens inédits autour de l’interaction spécifique de la danse et du dessin, ou Le complément d’objets (coll. « ShushLarry », art&fiction éditions, Lausanne, 2018) une fiction qui explore la passion de l’art et de la collection. Sa thèse de doctorat soutenue en 2016, «La spatialisation du dessin dans l’art américain des années 1960 et 1970» a paru en décembre 2019 aux Presses du réel.