Est-ce de la sensualité ou de l’agonie ? De la séduction ou de l’effroi ? Est-ce la vie ou la mort ? Peut-être que les choses ne doivent pas nécessairement être dans un état ou un autre, et ne doivent pas nécessairement être en harmonie, mais intégrées dans un appareil hétérogène de poussée et de traction – existant en même temps, dans le même tableau.
Les peintures de Drew Dodge sont des systèmes synergiques, des monuments colossaux qui abritent à la fois la vie et la mort. Les différents motifs qui composent ses peintures sont imprégnés d’un symbolisme explicite tout en constituant des énigmes séduisantes. Et pourtant, les symboles divergents se synchronisent, s’agglomérant en une image dont la cohérence repose sur la distinction.
Nombre des motifs de Drew Dodge ont été utilisés tout au long de l’histoire de l’art et sont chargés d’une signification qu’il reprend tout en la re-contextualisant. Par exemple, l’image du taureau, historiquement utilisée comme symbole de pouvoir et de masculinité stéréotypée (qui s’avère être un concept plutôt fragile et en voie de désintégration), est réinterprétée par l’artiste à travers un prisme queer, subvertissant les notions patriarcales en employant une perspective empathique et sensible. Il perturbe et remet ainsi en question les problèmes structurels de la société sans être ouvertement politique, et sans que la critique systémique ne devienne trop flagrante. Les cordes et les rubans récurrents – des forces opposées qui sont des filaments de vie ou des forces contraignantes – font également référence à une subversion des notions de pouvoir
Le crâne est un autre motif récurrent de l’œuvre de Drew Dodge. En tant que représentation ultime de la mort et de la mortalité, le crâne se situe à l’intersection de « l’animacité » et de la disparition. Les chimères fantastiques de l’artiste – hybrides de chiens et d’humains – qui sont présentes en tant que protagonistes dans chaque tableau, interagissent souvent directement avec le crâne ; parfois, elles le caressent, l’utilisent comme un outil ou un instrument, ou bien il leur sert simplement de compagnon. Si le crâne rappelle à chacun sa propre mortalité, il représente aussi le plaisir terrestre que l’on a pu éprouver avant sa mort.
Les chimères inquiétantes ont un langage corporel versatile, tantôt détendu et calme, tantôt agité et apparemment perturbé. Leur caractère ludique et absurde, qui fait référence aux dessins animés, les transporte dans un espace psychologique pictural à la fois réel et irréel, un état onirique où les expériences du monde physique se confondent avec l’imaginaire.
Ayant grandi en Arizona, Drew Dodge devait souvent traverser le désert pour rendre visite à son père qui vivait loin de sa mère. Certains paysages peints de l’exposition rappellent ce souvenir d’enfance qui, parfois, apparaît aussi comme une idée fragmentée, uniquement à travers les cactus, par exemple, qui symbolisent le physique, le viscéral et le charnel. Pour l’artiste, les déserts sont des toiles vierges, des terrains vagues imprégnés d’émotions et de sexualité.
L’utilisation par Dodge de ces figures et symboles énigmatiques procède d’un désir de découvrir le monde, tout en le laissant lointain et opaque, comme laiteux, jusqu’à ce qu’il devienne accessible. Ses motifs flirtent les uns avec les autres, se font écho, au point de ne devenir qu’un – sexy et étrange, taquin et envoûtant, tumultueux et tranquille.
Claire Koron Elat