Seul film réalisé par l’écrivain Jean Genet, Un chant d’amour (1950) est un monument atypique de la culture cinématographique. Genet y met en scène les frustrations amoureuses et sexuelles d’hommes en prison, de manière souvent suggestive, parfois poétique. Comme dans les écrits de l’auteur, la conception du désir guide le film qui, in fine, mêle fantasmes, relations potentielles et rapports réels.
Xie Lei s’est approprié autant ce titre mythique que la notion de désir. Un chant d’amour ne se dresse pourtant pas comme une influence ni même une simple révérence, plutôt comme un point de départ, évident, pour une série de peintures. Les malfrats embastillés de Genet vivent un huis-clos où la photographie, portée notamment par Jean Cocteau, s’avère résolument minimaliste. Les peintures récentes de Xie Lei se construisent dans un troublant parallèle au film, entre attachement au détail et disparition de toute perspective lointaine. Le regard se retrouve accroché dans un rapport frontal extrêmement proche et immédiat du sujet. L’intimité, créée par ce rapport d’échelle, est d’autant plus accentuée par les motifs. En effet, le corpus pictural de « Chant d’Amour » rassemble des corps, quelque fois morcelés, dont le genre est mal défini. Le voyeurisme que les œuvres suscitent ne revêt pourtant aucun caractère malsain ; l’érotisme, parfois immédiat, porte une large part de naïveté, tout autant qu’une poésie qui devient, paradoxalement, sombre. Les peinture de Xie Lei, comme le monde carcéral que décrit Genet, contiennent une violence latente. Dans Awake, un homme exhale un dernier souffle, ou bien vit une expérience de dédoublement, ou encore jouit. L’artiste entretient volontairement ces interprétations plurielles. Dans la langue française, l’expression « la petite mort » désigne l’orgasme, en opposition à la « grande » mort, elle tout à fait définitive. Cette métaphore, parfaitement appropriée à la peinture de Xie Lei, combine l’ambiguïté et la dichotomie de l’action située entre brutalité, paix et plaisir. Cependant, cette image doit se lire au-delà du contexte occidental et de son schéma classique – naissance, vie, mort – et être projetée dans la tradition chinoise. La mort n’y est pas une finalité mais une étape, l’esprit quitte simplement l’enveloppe charnelle vers un autre degré d’existence. Ainsi, la violence intrinsèque à ce corpus ne se montre pas si évidente. Dans Insinuation, un personnage joue avec un serpent à deux têtes. Le danger, étrangement calme, devient fantaisie et les limites sont abolies, mettant encore une fois en lien le film radical de Genet et l’œuvre de Xie Lei.
Si les sens se troublent après l’extase, les peintures de Xie Lei subissent un processus assez similaire. Utilisant peu de couleurs, l’artiste plonge le spectateur dans un univers souvent vaporeux et trouble. Sur la surface atone de la toile, les contrastes de lumière tranchent, rappelant un univers caravagesque où chaque ombre est maîtrisée et étudiée. Le titre de l’exposition « Chant d’Amour » amène à interroger la dimension sonore des œuvres, une autre composante intangible. Le chant est ici muet, à l’instar du film de Genet, mais conduit à imaginer l’ambiance sonore de chaque peinture. L’artiste livre des indices : dans son atelier retentissent flamenco et autres musiques passionnées. Chez Xie Lei, les sujets, les sons, sa technique – tous hors du temps – nous emportent dans un monde de projections, d’émancipation et de fantasmes.
Loïc Le Gall
Commissaire indépendant et critique d’art, Loïc Le Gall est directeur de Passerelle – Centre d’art contemporain de Brest, depuis septembre 2019.