Semiose a le plaisir d’accueillir dans son project space de la rue Chapon un ensemble d’œuvres d’Anthony Cudahy, peintre américain né en 1989 et exposé pour la première fois en France.
La série rassemble sous le titre d’exposition « Flames » une dizaine de peintures acryliques sur papier. Flammes comme dans « retour de flamme » – allusion au langage amoureux – ou encore parce que ces petites peintures sont comme des charbons incandescents, leurs vifs contrastes enflammant les couleurs dans l’ombre. Flame, enfin, comme le titre de plusieurs œuvres de la série, notamment un portrait de profil à la bougie.
Anthony Cudahy hybride dans sa peinture des références très diverses : chefs-d’œuvre de l’art européen – Le Caravage, Brueghel, Tenture de l’Apocalypse d’Angers, mosaïques et fresques pompéiennes, etc. –, archives queer, iconographie gay, récits personnel et familial. S’inspirant de photographies trouvées ou prises par lui ou son compagnon, Cudahy incorpore les images dans une chaîne de transformations, qu’il recharge d’affects et de pensées. Il s’en explique : « L’histoire des images est ce qui m’intéresse. La transformation et la dégradation auxquelles une image est soumise à travers la reproduction crée un langage en soi, avec ses codes et ses signifiants. Ça peut être tout autant la pixellisation d’une image répétée à l’infini sur Internet que l’ombre portée d’un flash photographique transposée dans une peinture. Quand je m’approprie une image et la traduis en peinture, c’est à la fois une reprise et une interprétation. La peinture est un nouveau maillon dans cette chaîne, une autre couche dans l’histoire d’une image. La traduction résulte de mon esprit excité par l’image ; la peinture est un enregistrement de pensées.1»
Fleurs, couples enlacés, attitudes amoureuses, portraits d’éphèbes, son répertoire explore les registres du romantique, de la tendresse et de l’intime. Ses compositions de groupe, où circulent les gestes et les regards, à l’intérieur du tableau mais aussi en dehors, rendent particulièrement palpables les réseaux d’amitiés et les intrigues, à l’instar de Between stare (2019), où le personnage central se détourne du trio pour poser son regard face caméra. Silencieuse, comme introvertie, la peinture de Cudahy procède d’une dramaturgie, chaque image décrivant une scène souvent insaisissable ; Conveyor (2019), par exemple, entretient une incertitude sur le lieu et l’action. De manière générale, le climat des peintures est chargé de gravité latente ; une telle tension parcourt ainsi Snake bundle I & II (2019) et son motif inouï et repoussant d’un enchevêtrement de serpents grouillant dans des mains.
Cudahy partage avec son ancien mentor Bill Sullivan dont il a été l’assistant, la passion du portrait. Au centre de compositions complexes, captée dans des situations ambiguës et des ruptures narratives, la figure humaine émerge comme le point focal. La recherche d’individualisation est rendue par le dessin délicat des visages et des expressions, tandis que le corps ou l’environnement sont brossés énergiquement, par larges aplats abstraits. Les aberrations chromatiques et les ruptures de couleurs acides – très prisées aussi des avant-garde européennes telles les Nabis ou Die Brücke –, forment un déséquilibre et unissent des contradictions en apparence irréconciliables. Dans la série « Flames », par souci de donner la primauté au dessin, les contrastes sont souvent réduits à deux couleurs, rehaussés parfois d’un trait noir. Vives et concentrées, les peintures de cette série vont droit au but, chacune des images fixant une idée percutante, mais dont l’onde de résonance reste comme suspendue.
Né en Floride en 1989, Anthony Cudahy vit et travaille à Brooklyn, New York. Il est diplômé du Pratt Institut de New York en 2011 et inscrit au Hunter College en 2020. Actif au sein de divers collectifs et auteur prolifique de livres d’artiste, il co-dirige un projet éditorial nommé « Slow Youth » et organise régulièrement des projets de groupe. Il a participé à de nombreuses expositions à travers les États-Unis et au Royaume-Uni, notamment à 1969 Gallery (New York), à Java Project (New York), à Farewell Books (Austin, Texas) et à Mumbo's Outfit (New York). Ses œuvres ont été incluses dans des expositions de groupe à New York à la galerie Perrotin, chez Danese/Corey, MULHERIN, Practice, Hales Gallery et à l’Athens Institute for Contemporary Art, Georgia, entre autres. Son travail a fait l’objet d’articles et parutions dans plusieurs revues, notamment Mossless, The Paris Review, Hello Mr., Marco Polo Quarterly et Cakeboy.
1 Cakeboy magazine, « Artist Anthony Cudahy Talks Paint & Pixels » par Sean Santiago, Mai 2016
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