C’est un double mouvement que raconte le titre de Justin Liam O’Brien, coucher (sunsets) / lever (risen), et comme pour toute force contradictoire arrive ce moment où elles se neutralisent, s’immobilisent. Arrêt… sur l’image. Rien à voir avec l’instantané photographique, plutôt la rencontre de deux cultures. D’abord celle des logiciels informatiques, de la 3D, des jeux vidéo, d’une formation en école d’animation, bref de l’image numérique et des écrans, surface de protection que Justin adolescent met entre lui et l’environnement réactionnaire et homophobe du comté de Suffolk à Long Island.

Ensuite, la peinture, qui arrive en 2017, et trouve sa confirmation après une visite déterminante au Louvre, qui a « littéralement changé (sa) vie, et certainement (sa) façon de peindre en 2019. »
2024. All Sunsets Risen expose l’état de grâce de ce double mouvement de libération : sortir des écrans comme sortir du placard, intégrer une culture queer dans des toiles qui disent le goût des hommes, inscrit dans une tradition classique. Il faudrait regarder les premiers tableaux de Justin O’Brien pour bien mesurer le chemin parcouru. Au départ des figures plutôt rondes, simplifiées, encore marquées par la modélisation 3D – « la façon dont j’aborde la lumière, l’ombre, la couleur, la forme est influencée de manière indélébile par les images numériques. » Et puis les personnages vont s’affiner. La peinture les déplie au fil des années, allonge le cou, les poignets, les mains dans des pauses qui se souviennent des hommes de Pontormo, Bronzino, Parmigianino. Pas une femme sur les toiles de cette série, mais une féminité maniériste revendiquée : « Les hommes sont mon sujet ; je ne pense pas en termes de genres, je suis plutôt adepte de cette croyance que tout tableau est un autoportrait. »

Qu’est-ce que j’entends dans cette déclaration ? Le mot « croyance » qui unit ces scènes de groupe, portraits d’hommes jeunes, les amis du peintre, sa communauté affective, tous liés par des signes de la main jusqu’au bout du bout des doigts, des mains qui ont l’expressivité rhétorique de la peinture religieuse. Deux index se touchent dans une scène de date au café, promesse profane d’une « création » amoureuse. Un poignet qui se casse, vu dans un rétroviseur, réfléchit celui des Christs déposés de Pontormo ou Bronzino, tandis qu’un avion déplie dans le ciel la devise biblique « There is only one way to heaven ». Ailleurs encore, gros plan sur deux paumes vers le ciel dans le geste dit de la « supination ».

Mais que raconte alors la peinture essentiellement narrative de Justin O’Brien ? À quoi, à qui croit-elle ? Peut-être à un monde d’hommes unis par l’idée de la rédemption amoureuse, une communauté queer de disciples dont il serait le « créateur ». Sa première exposition chez Semiose raconte l’état de grâce de ce monde originel, quand pour la première fois on devient amoureux. À la question : d’où vient son titre, Justin me répond : « J’ai écrit un poème le jour de la Saint-Valentin pour tenter de trouver une vision cohérente à cette série.
all sunsets risen
the heavens and earth merged
can you measure such a space?
as it expands or contracts
what about hope?
can you measure hope?
»

Peut-on mesurer l’espoir ? Oui, si l’on croit.

Laurent Goumarre