Du 3 mai au 28 septembre 2025, le sculpteur allemand Stefan Rinck est à l’honneur au Domaine départemental de Chamarande, propriété du Département de l’Essonne, à l’occasion d’une exposition monographique in situ.
Dans ce parc historique classé Jardin remarquable, Stefan Rinck accueille le visiteur avec deux sculptures monumentales de près de 3 mètres de haut. Ces figures sont des animaux costumés dans le style rococo affectionné par l’artiste, un style tout en détails soignés et opulence, qui le pousse à dépasser la rudesse du matériau. L’une des figures est un monstre hybride, à gueule de crocodile et fourrure, serrant dans son poing une marionnette de bouffon, quand l’autre est un chien habillé d’une collerette, présentant un masque humain devant son visage. Leurs nez de clown ne laissent aucun doute sur la bouffonnerie de leurs caractères. Taillées dans une pierre calcaire (Pietra Leccese) à Lecce, dans les Pouilles, ces sculptures accroupies sont déduites du bloc duquel elles ont été dégagées, à la main, par l'artiste. Les traces de percussion sont visibles sur toute la sculpture, à l’exception de détails soigneusement polis, faisant ressortir la noblesse du matériau.
Dans l’orangerie, une salle entière est scénographiée dans un rouge bordeaux intense, destinée à accueillir une dizaine de sculptures, de 50 cm à 1 mètre de hauteur, taillées dans une multitude de pierres d’origine et de couleurs différentes (marbre blanc, diabase noire, grès rouge, etc.). Installées sur un grand socle central, ces figures se dressent, hiératiques, à hauteur de regard. Côte-à-côte, la troupe semble prête pour le passage en revue. On retrouve là le répertoire habituel de Stefan Rinck, dont les sujets sculptés convoquent des mythes et des conventions de représentation d’origines diverses. L’artiste entrelace des récits et des registres dans un syncrétisme profane où l’art roman s’hybride avec des influences aztèques, où la relecture romantique du « gothique » se marie avec l’imagerie pop des cartoons et des jeux vidéo. Il en va ainsi, par exemple, du petit crocodile de Croc Pope (2024) aux yeux globuleux, vêtu de la tiare et de la chape pontificale, ou de la figure de Bookhead (2021), aux yeux déformés par la grimace et aux cheveux coiffés avec une raie centrale se confondant avec un livre ouvert, l’effet de perspective produisant une monstruosité sympathique. Dans cette même salle de l’orangerie, des dessins à l’encre et au pastel gras sont accrochées aux murs, telle une galerie de monstres attendrissants ou cruels. Parfaitement à l’aise dans un contexte historique et naturel, ce petit peuple de créatures peintes et sculptées semble ressurgir de temps anciens et d’une Nature aux desseins louches.
Evidemment, l’artiste dissimule derrière une imagerie apparemment débonnaire ou loufoque, une critique plus acerbe qu’il n’y paraît. Il s’est inspiré pour cette exposition au Domaine départemental de Chamarande d’un ballet français du XVIIe siècle, le Ballet des Fées des Forêts de Saint-Germain, dans lequel le souverain lui-même, Louis XIII, se met en scène pour « représenter » l’image même de sa majesté à la cour et à ses sujets. Ce ballet à visée politique est aussi étonnamment burlesque, les rôles étant distribuées entre les personnes importantes du royaume qui s’y produisent en arlequins, diables ou figures exotiques, dans des costumes somptueux. Le trait burlesque sous des atours rococos ne pouvait échapper à Stefan Rinck, lui qui use des ressorts du grotesque dans la plus pure tradition historique, les figures caricaturales servant à moquer les figures d’autorité.
Néanmoins, là où Esope ou La Fontaine faisaient endosser aux animaux des rôles humains, Rinck déguise les animaux en humains. Ce faisant, perdent-ils leur sauvagerie, ou bien en revêtent-ils une autre ? Revigorant des figures stéréotypées, l’artiste suggère une relecture du monde et des temps, depuis son point de vue du XXIe siècle, taclant subtilement la barbarie du progrès et la primitivité du langage scientifique. Il se fait aussi volontiers « bouffon du roi », aimant se désigner sous le titre de clown, chargé de détourner le spectateur – hier, roi ou prélat, aujourd’hui, amateur et collectionneur – du péché mortel qu’est l’ennui.