Prenant comme point de départ la proximité géographique de la galerie Édouard Manet avec la Seine et plus particulièrement avec l’infrastructure du port de Gennevilliers (plus grand port fluvial de France), Moffat Takadiwa nous invite dans cette exposition à envisager l’eau dans son rapport au monde industriel et au transport de marchandises.

La place d’une activité de production est toujours en latence dans le travail de l’artiste, qui utilise des matériaux de récupération sourcés dans les décharges de Harare (Zimbabwe). À partir de touches de claviers d’ordinateurs, de stylos, de têtes de brosses à dents et d’une diversité de petits composants, qu’on identifiera au fur et à mesure de la contemplation des pièces, Moffat Takadiwa constitue des sculptures murales, proches de la tapisserie. Suivant un motif ou une suggestion les œuvres viennent continuellement parler d’un déplacement : des ressources, du langage, de la matière, d’un usage, d’un point de vue.

De sa conception initiale, à sa récupération, à son tri et enfin à son assemblage dans une sculpture, chaque petit élément d’une pièce représente tout un trajet. De même, les œuvres de l’exposition recomposent une histoire, simultanément révolue et en cours. C’est en suivant ces déplacements que nous entendons se raconter les Contes de la Grande Rivière.

Pour nous inviter à dériver ensemble Fixable mistake nous accueille dans la première salle de l’exposition, charriant toutes nos matérialités avec elle. Projeté dans cet éclectisme nous assistons à la croisière de notre monde capitaliste. Puisque la transaction marchande est une composante importante de ce voyage, une fiche de paie agricole, de la monnaie et des produits coloniaux circulent avec nous. Pourtant rien n’est dans une portée réelle. Nous devons donc refaire chaque chemin, chaque erreur, chaque cercle du parcours pour suivre finalement le symbolique qui nous entoure. Guetteurs et guides, les Zimbabwe bird accompagnent notre visite. Ce n’est pas anecdotique. Emblèmes du pays, figurant sur le drapeau et les billets de banque, ces oiseaux parlent encore d’un déplacement économique mais rejoint désormais par un mouvement aussi culturel. Les oiseaux du Zimbabwe annoncent également un mouvement extérieur, évoquant en sourdine la spoliation de l’art. Cette traversée nous invite, bercé par le même mouvement que les œuvres, à tisser dans la profusion des éléments une perception immatérielle, celle du croisement entre passé et futur, qui nous place précisément devant le présent. Tales of the Big River nous emmène du fragment à l’ensemble tout à la fois dans le flux et le reflux de l’eau, de nos industries et de nos mémoires.

Mais cette histoire ne peut être vécue qu’à travers un sujet et il nous faut alors se demander quel est-il, notamment quand on utilise l’inclusif du nous pour parler de nos productions et notre capitalisme. Cette question permet de convoquer deux narrateurs : le nous du collectif d’artisans de l’atelier de Moffat Takadiwa à Mbare produisant cette exposition, et en contrepoint le nous regardant du spectateur occidental, rencontrant son rapport de consommation, évidemment matériel, mais aussi ici culturel.

L’artiste nous propose à travers cette rencontre une lecture poétique d’un environnement industriel partagé, il nous donne peut-être également l’occasion de nous saisir de cette proposition pour repenser ses trajectoires.