Contre-Nature est une exposition habitée de formes insolentes et hybrides : ces créatures grotesques, de terres et d'émaux, forment un monde luxuriant, originel, mystérieux, inquiétant, voire hallucinatoire. La nature est artifice et l'artifice se fait nature pour décatégoriser les échelles et valeurs, renverser les poncifs sur la sculpture et la tradition céramique. Les œuvres rassemblées traitent moins de céramique en tant que folklore que de modelage et d'alchimie comme techniques et magies. L'eau, la terre, le feu en sont les composants essentiels, inégalables de ces mondes nouveaux : « on appelle contre-nature ce qui est contre la coutume. » (Montaigne)

« Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or » écrit Baudelaire dans un épilogue des Fleurs du mal inachevé. L’exposition explore ces renversements de valeurs à travers les sculptures de plus d’une vingtaine d’artistes, qui à la suite aussi du personnage Jean Des Esseintes de Huysmans permutent le naturel et l’artificiel, et vice versa. C’est davantage les processus de transformations qui forment le cœur du projet : d’abord du façonnage à la main, du modelage de la terre, plus que des mécaniques de tournage ou de moulage. La corporalité de l’artiste est primordiale, omniprésente et visible, palpable à travers les marques de ses gestes performatifs, d’un corps-à-corps avec la matière.

Un tissu de contradictions fertiles forme l’essence du matériau et fonde sa technique : le cru et le cuit, le naturel et l’artifice, l’archaïque mais contemporain, l’inoffensif ou le toxique, le contrôle par le hasard, le malléable devenu solide. Les œuvres présentées sont prises dans un moment de transformation, cristallisées dans un état incertain de métamorphoses et d’alchimies, que le four (et la gestation inhérente à la céramique, la cuisson, qu’elle soit électrique, au bois ou au gaz) a saisi.

Contre-Nature n’entend pas déployer une histoire exhaustive de la céramique. Elle se concentre sur ses développements récents. Elle s’attache à contrer la hiérarchie des pratiques en accord avec les préoccupations actuelles d’artistes émergents : longtemps considérée comme un artisanat passé de mode (même si, au final, après les expérimentations modernes de Lucio Fontana, Pablo Picasso ou Peter Voulkos, avait-elle seulement disparu ? En témoignent les efforts de Ken Price, Ron Nagle, Grayson Perry ou Simone Fattal), la céramique est désormais généralement reconnue par les artistes et les institutions comme un mode d’expression en phase avec un monde incertain et un retour manifeste au faire, aux textures et aux matières.

L’exposition se répartit en trois paysages ou « climats » formels, regroupant chacun des ensembles significatifs des artistes exposés. Le premier des climats explore la relation antinaturaliste de la céramique quand elle génère une nature plus vraie que nature. Les couleurs explosent, elles révèlent la céramiques et l’art de l’émaillage comme un art de pigments, de valeurs, de tonalités étonnantes. Les formes se font végétales, sexuelles, foisonnantes, tropicales. Le deuxième climat est aride et minéral. La cuisson au feu prévaut, un émaillage terreux, des tons de brasier, des formes grotesques : la matière est en fusion, se transforme et s’incarne en créatures grimaçantes, en gestation. Enfin, le dernier climat s’assombrit pour dévoiler des installations se jouant des codes narratifs du monument et du conte. Ici, la céramique devient un matériau autant culturel qu’architectural.

Avec Salvatore Arancio, Sylvie Auvray, Jessica Boubetra, Roberto Cuoghi, Johan Creten, Michel Gouéry, Mael Gros, King Houndekpinkou, Claire Lindner, Simon Manoha, Nitsa Meletopoulos, Marlene Mocquet, Sandrine Pagny, Aneta Regel, Anne-Lise Roussy, Sterling Ruby, Elsa Sahal, Mathilde Sauce, Elmar Trenkwalder, Marion Verboom, Anne Wenzel

Commissaires d'exposition : Vincent Honoré, Caroline Chabrand