Le monstre est cet être hors-norme que la société montre du doigt, elle en joue, elle s’en moque, elle s’en effraye. Les monstres antiques sont des êtres fantastiques, des divinités ; les monstres du Moyen-Âge surgissent de l’ombre ; ceux de la Renaissance et en particulier chez Rabelais sont présentés comme des êtres carnavalesques, aux membres protubérants, subversifs, à la fois simples et philosophes.

Si l’on ferme les yeux, ils apparaissent plus aisément, ils sont tapis dans nos songes : Le Cyclop ne s’appelait-il pas Le Monstre dans la forêt ou Le rêve de Jean ? Niki de Saint Phalle a multiplié les références aux monstres : Hon (1966), Golem (1972), Un rêve plus long que la nuit / Camelia et le Dragon (film de 1975), où le bestiaire y est vertigineux et commence dans un rêve. Les deux grands monstres de Jean Tinguely rassemblent ses amis artistes : Le Crocrodrome (1977) et bien sûr Le Cyclop (1969-1994). Il compose aussi des installations propices aux monstres anciens ou modernes comme Chaos (1974), l’Hommage aux déportés (1975-1994) avec Eva Aeppli, L’Enfer (1989) etc. Ces œuvres nous poussent à questionner notre société, nous-même, notre propre humanité. Ce sont des chimères d’objets et de matériaux recyclés, des œuvres composées avec nos déchets, nos mises au ban, au rebut qui refusent leur finitude avec force et facétie, leur retour à la vie grâce aux mouvements des machines sont autant de pirouettes pour lutter contre la mort.

Anne Ferrer, Sébastien Gouju, Suzanne Husky, Léonore Boulanger, Ksenia Markelova et Hortensia Mi Kafchin sont invités à partir de cette réflexion à composer dans les bois autour du Cyclop. Les monstres joyeux d’Anne Ferrer se nichent dans les arbres, Sébastien Gouju installe au sol des plantes décalées que gardent d’imposantes arachnides, les films de Suzanne Husky et d’Hortensia Mi Kafchin ainsi que les animations de Ksenia Markelova dans le container dédié à la projection, complètent ce bestiaire.

Commissaire d'exposition : Françoise Taillade