Hippolyte Hentgen c’est comme un groupe de rock, un duo de filles. Il y aurait Gaëlle Hippolyte à la gui­tare et Lina Hentgen à la basse, et elles joue­raient quel­que chose qui son­ne­rait comme : Ziiiiiip ! She bam !!! Leur ren­contre date du début des années 2000 au Point FMR, où elles par­ta­geaient un ate­lier dans ce qui s’appa­rente à l’époque au QG des cultu­res alter­na­ti­ves à Paris. C’est dans ce grand bain cultu­rel où se pro­duit un joyeux mélange des genres - de la musi­que à la vidéo, au cinéma, à la danse et aux arts visuels - que leur duo se forme. Hippolyte Hentgen, le troi­sième artiste qui naît de l’asso­cia­tion de leurs noms de famille, émerge ainsi de ce Big Bang ori­gi­nel à l’esthé­ti­que post-moderne où les influen­ces sont mises à plat sans soucis de hié­rar­chie, et pro­vien­nent tout autant de la culture popu­laire que de la pré-sup­po­sée grande culture. Dans leur pra­ti­que du dessin, il n’y a pas de créa­tion ex-nihilo, tout pro­vient de quel­que part, a une ori­gine et y revient.

Avec Hippolyte Hentgen on passe à tra­vers dif­fé­rents états du dessin. C’est un dessin expan­sif, qui sort du cadre, se répand sur les murs, s’anime et même se déve­loppe en trois dimen­sions. On navi­gue de grands for­mats sur papier réa­li­sés au fusain et rehaus­sés de tou­ches de cou­leurs jusqu’au dessin animé. Ici, la pel­li­cule est appré­hen­dée non pas comme une suite de pho­to­gra­phies mais comme une matière aux qua­li­tés plas­ti­ques : les bobi­nes de films d’ani­ma­tion his­to­ri­ques sont grat­tées, pein­tes et gri­bouillées à la manière des pre­miers films expé­ri­men­taux. Les des­sins pren­nent aussi la forme de grands col­la­ges et assem­bla­ges de tex­ti­les, tantôt sus­pen­dus tels des ten­tu­res, tantôt répan­dus dans l’espace, jouant de l’archi­tec­ture, ou encore roulés sur eux-mêmes et san­glés pour deve­nir un volume, une sculp­ture en ronde-bosse.

Pour l’expo­si­tion Marble Canyon aux Capucins, Hippolyte Hentgen pour­suit son explo­ra­tion de la culture visuelle. On assiste à un métis­sage d’influen­ces et de cita­tions visuel­les qui emprun­tent aux tous pre­miers comic strips du début du 20e siècle ou encore aux pein­tu­res et des­sins de Christina Ramberg (1946-1995) repré­sen­tant des coif­fes de femmes vues de dos. Celles-ci font penser à des gra­vu­res du 19e siècle ambiance wes­tern, des coif­fu­res toutes en tres­ses, dont les lignes, les pleins et les déliés des­si­nent un infini pay­sage ondoyant et souple. Ces entre­lacs de lignes de che­veux font écho aux vagues spec­ta­cu­lai­res que les effets conjoints de l’eau et du vent creu­sent dans la roche oran­gée de Marble Canyon dans l’Arizona.

C’est jus­te­ment dans le dépouille­ment du désert amé­ri­cain que se dérou­lent les aven­tu­res de Krazy Kat, un comic strip de Georges Herriman publié entre 1913 et 1944, que l’on décou­vre au cœur d’une série de ten­tu­res inti­tu­lée B_R_E_E_K. Un hom­mage tout en homo­pho­nie à la brique de la souris Ignatz Mouse, l’un des trois per­son­na­ges prin­ci­paux de cette bande-des­si­née. C’est une sorte d’acces­soire féti­che qu’Ignatz balade sou­vent avec lui, et qu’il lance volon­tiers à la tête du chat Krazy Kat - peut-être pour lui remet­tre les idées en place. Sur les gran­des ten­tu­res de cette série, la brique est omni­pré­sente, et éclipse les autres per­son­na­ges. Des Pow et autres Zip fleu­ris­sent çà-et-là sur ces col­la­ges de tissus. Le babillage et les ono­ma­to­pées pro­dui­sent une ryth­mi­que interne à la com­po­si­tion, elles la ponc­tuent et déton­nent par­fois. Un peu comme ça : KABOOM !

Karin Schlageter, commissaire de l'exposition