Dans la préface au recueil de Marina Tsvetaeva «Le ciel brûle», Zéno Bianu introduit la poésie comme l’intensification de l’être au monde (1). Cette aspiration de l’âme vers l’avant, vers le haut, s’étend au champ de l’art dans toute sa vastité, et à l’instar de la poétesse russe, les deux artistes réunis au sein de l’exposition organisée par la Galerie C s’inscrivent dans une insoumission de l’âme. 

Il y a dans l’univers de Françoise Pétrovitch une inquiétude, le jaillissement du trait témoigne d’une oeuvre où ne s’ancre jamais des figures de puissance, mais bien des êtres en instance, dont la fragilité est splendeur : le muet retrouve sa voix (2).
La pulpe du vivant - l’humain dans sa relation au monde, surgissent au sein du travail vésuvien de la poétesse russe et de l’oeuvre saisissante de la plasticienne française: abruptement, nous voilà ravi par le rythme scandé, rythme qui appartient à une fulgurance primitive.

Incarnée par un esprit de consumation (3) - Marina Tsvetaeva traverse, subit et transcende l’histoire comme une comète fracassée (4) - la pensée tsvétaïévenne est singulière par sa mouvance, par son extrême liberté d’oscillation entre rudesse et apaisement. La violence de l’histoire est telle, que l’écriture est une nécessité, une résistance à la folie destructrice qui s’est emparé de l’époque. Marina Tsvetaeva écrit en 1922 à Boris Pasternak: Alors je ne te comprends pas: abandonner la poésie. Et après? Tu iras te jeter dans la Moskova ? Mais la poésie, mon cher ami, c’est comme l’amour: ça dure jusqu’à ce qu’elle te quitte. Toi, tu es l’esclave de ta lyre (5).  Loups hurlants dans la forêt profonde de l’éternité - Révolté(e)s qui offrent leur fragile porosité en s’emparant de l’écriture - les rencontres rugueuses, conflictuelles de l’Histoire s’articulent dans le travail d’Alain Huck, dont les dessins naissent de la friction quotidienne entre le mental et le physique, entre la tête et le corps: le résultat en est la sécrétion. Il s’agit alors de confronter matières et supports, de mettre en tension le sens des mots, pour créer un monde dérangeant ou inquiétant (6).  Ainsi, Alain Huck proposera une promiscuité des révoltés en travaillant la matière littéraire de Marina Tsvétaïéva, Kenzaburô Ôé, Thomas Bernhard ou encore « Heart of Darkness » de Joseph Conrad.

Il est d’une importance capitale d’ancrer dans le papier la rencontre de deux plasticiens avec une oeuvre poétique d'une telle dimension. Ainsi, l’exposition « Nous sommes tous des loups, dans la forêt profonde de l’éternité » est accompagnée d’un catalogue d’exposition dont les textes ont été réalisés par Nancy Huston et Julie Enckell Julliard.


(1) Marina Tsvetaeva, «Le ciel brûle», Paris: éditions Gallimard, 1999, p.7
(2) Ibid., p.57  
(3) Ibid., p.12
(4) Ibid., p.09
(5) Boris Pasternak , Rainer Maria Rilke , Marina Tsvetaeva, «Correspondance à trois», Paris: éditions Gallimard, 1983, p.33-34
(6) Julie Enckell Julliard, «Alain Huck: la friction et le double», Zurich: JRP/Ringier, 2006, p.4