Laurent Proux
One piece at a time



18 Mai - 15 Juin 2013
Vernissage le Samedi 18 Mai à partir de 14h

 

 

(English below)

    Dans sa peinture et ses dessins, Laurent Proux entretient un rapport singulier avec la photographie. Comme pour de nombreux artistes depuis Richter et Polke, l'image photographique lui sert de point de départ neutre, objectif, qui lui permet d'inscrire sur la toile à la fois des éléments réalistes et des « marges » abstraites en une oscillation parfois vertigineuse. Mais sa singularité tient à la constitution d'une sorte de répertoire, ou d'archive, des lieux de production industrielle datant des années soixante-dix. Il y a là des images trouvées - manuels pédagogiques de la RDA, comptes d'exploitation d'entreprises en 1976 - et des photos prises par lui-même ou des amis sur leur lieu de travail. Les tableaux de cette exposition ou de la précédente à la galerie Sémiose montrent des usines, des entrepôts, des ateliers, des bureaux, des centres de traitements informatiques, des chaînes de production, des outils, des machines, qui peuvent nous sembler aussi surannés que l'iconographie des montgolfières ou des gravures anciennes mobilisée par Polke. Les années soixante-dix sont pour Laurent Proux un moment de bascule entre une forme de travail concrète, productrice de bien matériels, et l'apparition massive de l'informatique qui dématérialise le travail humain en abstraction et annonce la globalisation contemporaine. Lorsque le photographe Lewis Baltz montre des câblages d'ordinateurs dans son installation "La Ronde de nuit", il dit pareillement que la réalité du monde est désormais invisible.
Cette extériorité en forme de constat et ce travail de peinture perdurent dans les oeuvres présentées aujourd'hui. Preuve que l'analyse s'obstine et se confirme en ces espaces froids et hostiles d'où toute présence humaine est bannie, sinon sous forme de traces, d'inscriptions manuelles et anonymes : graffiti, morpions envahissants, mots croisés récupérés dans des quotidiens gratuits. Y aurait-il là une forme de résistance un peu dérisoire ? Nul ne le sait. La belle nouveauté, c'est que l'image unique - les taxiphones, le bureau de l'informaticien bordélique, le central téléphonique - a explosé. Une forme d'intériorité apparaît alors dans la juxtaposition, le collage, le montage - chacun choisira le terme qui lui plaira - et parfois la superposition en transparence, d'une multitude d'images hétérogènes, tantôt extrêmement picturales et virtuoses, tantôt relevant d'un dessin d'une minutie diabolique, d'une géographie mystérieuse, d'une héraldique secrète. Une grande machine à produire des tissus imprimés aux couleurs vives - une machine à peindre - domine une grille de mots croisés et des taches d'encre d'imprimerie de journal, mais peintes. Ailleurs, la même machine, vue sous un autre angle, est surmontée d'étranges cartes à jouer. Une nuée d'oiseaux voisine avec une chaîne de montage. Les Scrapbooks de William Burroughs où l'écrivain consignait les photos de presse qu'il découpait et celles qu'il prenait, en sentant que de leur juxtaposition un sens jaillirait pour lui seulement, procèdent d'un rapport similaire entre extériorité et imaginaire, désuétude et mémoire, zones d'images explicites et terra incognita de la peinture.
Le titre de l'exposition, "One Piece at a Time", est celui d'une chanson de Johnny Cash : un ouvrier d'une chaîne de montage vole une pièce de voiture chaque jour dans l'espoir sans doute vain d'avoir enfin sa voiture gratis. Laurent Proux peint aujourd'hui ainsi, morceau par morceau, en espérant à juste titre, non pas que tous ces morceaux finiront par faire image, mais que la peinture en sortira gagnante.

Brice Matthieussent





      In both his drawing and his painting, Laurent Proux has developed a singular relationship with photography. In the same manner as numerous artists since Richter and Polke, the photographic image acts as a neutral and objective starting point allowing the artist to depict both realistic elements and more abstract peripheral aspects in a sometimes vertiginous interchange. He is however unique in constituting a kind of directory or archive of industrial production sites dating from the seventies. There are "found images" - instruction manuals from the GDR, operating accounts from businesses dating from 1976 - as well as photographs taken himself or by friends at their workplaces. The works on display at this and his previous exhibition at the Semiose gallery show factories, warehouses, workshops, offices, IT centres, production lines, tools and machines, which seem as out-dated to the spectator as the iconography of hot air balloons and antique engravings put to use by Polke. For Laurent Proux, the 70s represent a period of change when the production of material goods in a concrete manner gave way to the massive implantation of computer technology, dematerialising human endeavour and announcing the arrival of the present-day globalisation of industry. When photographer Lewis Baltz exhibited computer cabling in his installation "La Ronde de Nuit", he was expressing in a similar way that the reality of our world has become invisible.The element of exteriority in his assessment and his painted work persists in the oeuvres presented in the current exhibition.  Thus his analysis endures and is confirmed by these cold and hostile spaces, from which any trace of human presence is banished apart from a few anonymous, hand-written inscriptions: graffiti, noughts and crosses, crosswords taken from free daily newspapers. Is there some kind of derisory resistance in all this? Nobody knows. One attractive new aspect is that the simple singular image - the payphone shop, the untidy office of the computer technician, the telephone switchboard - has exploded into something more complex. A form of interiority appears within the juxtapositions, the collage or montage - it is up to each individual to choose the term he prefers - and occasional superposition of transparent components, using a multitude of heterogeneous images, some demonstrating extreme pictorial virtuosity, others a diabolically minute attention to detail, a mysterious geographic element or perhaps a depiction of secret heraldry.  An enormous machine for printing brightly coloured patterns on cloth - a painting machine - overshadows a crossword and smudges of newspaper ink, but smudges that have been painted. Elsewhere, we come across the same machine, seen from a different angle, its upper surfaces decorated with strange playing cards. A flock of birds positioned next to a production line. William Burroughs' Scrapbooks, where the writer collected photos cut out from the press and those taken himself with the intention that their juxtaposition would produce some meaning that only he himself could discern, work in a similar fashion between exteriority and imagination, obsolescence and memory, areas of concrete imagery and the terra incognita of painting. This exhibition - A Piece at a Time, takes its name from a Johnny Cash song. An automobile production line worker each day steals one part of a car hoping, undoubtedly in vain, to finally construct his own free car. Today, Laurent Proux paints in the same manner, one piece at a time not in the hope that one day all the different parts will produce a complete image but more justifiably in the hope that one day painting will win through.


Brice Matthieussent

La galerie est ouverte du mardi au samedi de 11 heure à 19 heure et sur rendez-vous