Aux Beaux-Arts, elle séchait les cours de dessin, préférant s'appliquer à détourer des sculptures de mini-golf sur photoshop, sa plus mauvaise note en perspective punaisée au mur de son atelier. Son « Grand Tour », Amélie Bertrand l'a fait le long des stations balnéaires ringardes, du Lunapark rouillé à l'Aqualand moisi en passant par le parcours de santé où d'anciens fumeurs de Craven A s'essayent à quelques tractions. Ces motifs soustraits aux splendeurs de l'architecture vernaculaire sont ré-agencés sur la toile, où ils s'imbriquent, s'articulent, se chevauchent dans un pur jeu formel, se coincent parfois, pris dans une rixe chirurgicale, sans drame ni fioriture, car l'art d'Amélie Bertrand honnit ce genre d'affect autant que les « effets relous de la peinture » : ses couleurs  ne montent pas en jus mais se posent en monocouche tandis que sa palette lui parait la plus juste quand elle ressemble à un système RVB. Ce que vous prenez comme une obsession pour le style médiéval dévoyé au rayon décoration des jardineries, ou pour les ambiances vitrifiées des jeux de plate-forme, n'est que la solution à un problème de peinture, où il s'agit d'importer des contrastes de couleur, des ombres et des perspectives « chelous », pour voir si ça tient toujours. Vous serez bien-sûr tenté de convoquer vos maigres notions de psychanalyse pour juger la récurrence de ces motifs anxieux - pierres tombales, trappe dans le sol, pic anti-pigeons ou divan en skaï King Size - ou de l'accord parfait entre les attributs de la guerre et du divertissement baignés dans une lumière californienne. Mais là encore, quand vous lui demandez quel est son problème avec les palmiers, Amélie Bertrand vous répond que « c'est chiant de peindre un buisson ».

Non, ces peintures ne racontent rien, elles ne représentent rien, mais leur présence est terrifiante, justement parce qu'elles reconduisent à leur surface toute tentative de s'y projeter, après avoir appâté le regard pour mieux le coincer dans un angle ou le piéger dans une treille, ne faisant qu'appliquer les stratégies perverses du spectacle. Plus flippante encore est cette manière d'aboutir au faux en épurant le vrai, et retomber par coïncidence sur le réel en simili et bordé de palissades, de sorte que cette claustrophobie en plein air a un arrière goût bizarre de déjà-vu. Non loin d'ici, la barque de Truman est venue se cogner contre l'horizon en carton.


Julie Portier