A la Colinière, pendant la nuit, l'aviateur, la marquise et ses invités font l'enfant, pour éviter de penser que le monde s'apprête à sombrer. A la veille de l'apocalypse, ils se sont donné rendez-vous pour une partie de chasse, parfait alibi d'un chassé-croisé amoureux entre gens de la haute.

Dernière demeure de l'imaginaire infantile déjà dévoyé par des fantasmes alanguis sur une peau de bête, le pavillon de chasse resurgit sous la plume et de derrière les fagots, avec son assortiment de niaiseries assumées et sincèrement délectables. Cette rêverie en objets divague des forêts angevines aux savanes sahariennes, mais toujours équipée d'un bon fusil à pompe, car même le bon chasseur tire sur tout ce qui bouge. Non, ne croyez pas lever un lièvre en discernant ici ou là quelques effets de mode - même si on remarquera que la tendance hivernale ne manque pas de toupet : prodigieusement façonné dans un cygne empaillé ou délicatement posé sur le crâne d'une Mona Lisa alcoolique -, vous flairez une fausse piste. Tout ici a l'odeur âcre de la nostalgie (mêlée aux traumas), triplement brassée même, quand elle fabrique de nouveaux trophées avec les reliques de ce qui fit la fortune de designers inconnus, virtuoses du plastique imitation bois de cerf, objets oubliés dans la salle à manger de votre grand-mère, au sud de l'Orne, où les récits cynégétiques se narraient sur la toile cirée. Les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent1.


Julie Portier

1 Cors de chasse, Guillaume Apollinaire.