Dans le fameux cartoon de Tex Avery, King Size Canary, un chat affamé tombe sur une potion qui fait grandir démesurément quiconque en boit. Il en gave un minuscule canari… Commence alors une escalade de croissance, où proie et prédateur s’élèvent à taille égale, jusqu’à dominer le monde, mais pas le système solaire, faute d’une quantité suffisante de potion. En exploitant la souplesse des figures animées, Tex Avery réalisait visuellement ce que Kant appelait l’évaluation esthétique des grandeurs, où l’imagination, en s’exposant à un maximum, est confrontée au sublime. À l’opposition des figures clichés sous-tendant la plupart des intrigues de cartoons (chat/souris, chat/chien) se substitue une opposition purement quantitative. Celle-ci pointe la nature de l’industrie du dessin animé et plus généralement, de la reproduction des images : l’existence des personnages y est affaire de quantité, elle se définit par le nombre de fois qu’on en trace la figure.

Hippolyte Hentgen remet en valeur, en les transformant, les images, clichés et laissés-pour-compte de la culture occidentale moderne, en prêtant attention à la manière dont l’éducation modèle le jugement et le regard. Printemps à Coconino, titre de leur nouvelle exposition, évoque un comté de l’Arizona où se déroulent les péripéties de Krazy Kat, personnage emblématique du comic strip éponyme créé par George Herriman de 1913 à 1944. Un horizon, souvent fait de discrètes roches monolithiques, y délimite l’espace où se meuvent Krazy Kat, félin au dialecte singulier, et la souris Ignatz, envers laquelle il éprouve une affection sans pareille, que les briques qu’elle lui jette à la figure ne font que renforcer.

Les œuvres que présentent Hippolyte Hentgen se distinguent par l’usage méthodique et abondant d’images et de documents de provenances variées, confrontées au trait du dessin ou sujettes à des opérations de découpage, marquage, collage et parfois, à une distribution de leurs fragments sur plusieurs supports. Hippolyte Hentgen applique également des caches et des marquages sur les pellicules de dessins animés américains. Dans leur vidéo The Hound and the rabbit1, l’instabilité hésitante et les tremblements de traces à l’encre de Chine (et les craquelures qu’elles ont produites en séchant sur la pellicule) font violence à la fluidité caractéristique des mouvements des personnages animés. Dans le générique, le nom du producteur Rudolf Hising se noie sous les craquèlements et passe sans qu’on s’en aperçoive.

Chaque image d’Hippolyte Hentgen est chargée d’une plénitude singulière. Bien qu’elles se ressemblent, qu’elles soient parfois réunies dans un seul cadre, elles ont toutes un caractère unique, une individualité. Elles sont pourtant le produit d’un travail plastique pluriel, et leur prolifération attire l’attention sur l’anonymat caractéristique des images reproductibles issues de l’industrie, dans une tentative délibérée de leur donner substance. Respectant avec une remarquable précaution un principe d’abondance et de diversité, Hippolyte Hentgen tente la réunion, tantôt brutale, tantôt harmonieuse, entre la robustesse des images reproduites et la répétition imparfaite et variable du trait dessiné à la main.

Valentin Lewandowski