C’est d’abord une fraîcheur qui se dégage des œuvres de Louis Gary, presque celle, en plein été, du giclement d’un fruit frais dans la bouche. Pourtant, cette fraîcheur n’a rien d’une facilité. À l’écouter, on comprend que l’artiste a été prudent vis-à-vis de cet élan figuratif et coloré. En effet, la lecture greenbergienne de l’art moderne, amplifiée par les enseignements issus de la pensée conceptuelle, a valorisé la production d’un art réflexif, cérébral, qui parlerait à la rationalité sans passer par le prisme du corps. Les œuvres de Louis Gary embrassent au contraire une grande liberté formelle et sensorielle, propre aux philosophies non-dualistes qui l’accompagnent au quotidien.

À propos de la série des bas-reliefs présentés à la galerie Semiose dans l’exposition « Magic Saliva », Eva Prouteau parle « du décoratif comme principe de proximité ». Entre galerie de portraits, paysages naïfs et représentations d’éléments quotidiens simplifiés, ces œuvres interrogent en effet la notion de distance – entre les êtres bien sûr, mais aussi entre les personnes et les choses. Décortiquons ensemble. Le décoratif est ce qui occupe les demeures plus que les musées. Il possède ainsi un rapport plus direct que ne le peut l’œuvre d’art sacralisée. Sa dimension fonctionnelle lui permet d’être plus efficient, de soutenir les hommes et les femmes dans leur vie de tous les jours ; dans les lieux ordinaires où, justement, les êtres aimeraient bien recevoir une petite touche d’humour ou un pic coloré en lieu et place de la grisaille habituelle.

La manière dont ces bas-reliefs sont produits permet une meilleure compréhension de leurs enjeux. Ce sont des pièces figuratives qui combinent bois, polystyrène et enduit minéral peints. C’est la technique qu’utilisent les façadiers, les modélistes ou les décorateurs de cinéma. L’artiste recouvre ensuite cette structure de peinture Glycéro toute simple, tel que le ferait un peintre en bâtiment. Il existe donc une vraie humilité dans la manière de produire de Louis Gary : alors qu’il pourrait faire de la céramique et s’insérer dans la lignée artisanale des arts dits mineurs, il embrasse le savoir-faire des ouvriers dans un élan plus populaire encore. Or, les premières œuvres de Louis Gary comportaient beaucoup de mobilier puisqu’il interrogeait le rapport du meuble à la sculpture dans une pensée proche de celle que William Morris a insufflée dans les Arts & Crafts. Ce dernier confectionnait en effet des objets utilitaires et décoratifs au plus bas coût possible en vue d’agrémenter l’espace domestique de toutes les classes sociales. Mais c’est aussi un rapport animiste « un peu primaire, qui amène un enfant à prêter une âme à ses étagères quand il a trop de fièvre, ou à se passionner pour un bouton de porte » dixit Louis Gary, qui l’a amené à se pencher sur l’ameublement.  

L’art aux allures très pop de Louis Gary n’est donc pas du tout le pop art d’Andy Warhol qui associait art populaire et consumérisme de masse. Ici, même si les bas-reliefs sont formellement proches des sculptures-tableaux d’un Tom Wesselmann, ils embrassent une culture à échelle humaine, dans toute sa simplicité. Une partie des couleurs de Louis Gary sont issues des années 1960-70 – celles de la mise en place de la postmodernité jusque dans nos intérieurs, donc – mais ici, pas de branding ou de mise en valeur du désir et du plaisir comme dans les œuvres de Wesselmann. Au contraire, si corps il y a dans une œuvre de Louis Gary, il s’exprime à travers les stigmates d’une blessure masquée par un pansement, une position à quatre pattes ou des formes proches d’excréments. Ces corps sont loin des clichés des corps publicitaires qui peuplent l’imaginaire collectif de la modernité occidentale. D’ailleurs, sa palette a bien plus à voir avec ces moments d’élargissement de la conscience que l’on peut ressentir à observer de petits détails du quotidien comme un bouton de porte, la roue d’une voiture ou le nuancier de tubes de gouaches. Il est ainsi drôle de noter que, même si les œuvres de Louis Gary sont très loin du réalisme, elles approchent pourtant une véracité de l’être plus sincère que ce que propose le simulacre de la publicité et, par capillarité, le pop art auquel elles auraient a priori pu être rapprochées, à tort.

Le monde imaginaire de ces bas-reliefs est peuplé d’êtres ou d’associations absurdes qui semblent former une échappatoire à des situations aussi banales que cocasses. Une impression s’en dégage : celle qu’en nous faisant découvrir ses questionnements et ses rêves, l’artiste invite à déplier notre rapport au monde. Louis Gary précise que, dans son processus de création, il procède par ajouts de couches, séparées entre elles par de longs temps de séchage. L’artiste ne revient ainsi jamais en arrière, comme l’Histoire qui se dépose par sédimentation à l’extérieur et à l’intérieur de nous sans que nous puissions la modifier. Nous pouvons pourtant l’analyser afin d’apprendre de sa complexité, comme l’artiste qui, dans ses workshops, pose des questions d’une simplicité seulement apparente : qu’est-ce qu’une fleur? Qu’est-ce qu’un rêve ? Ou encore qu’est-ce qu’un doigt ?

Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani

Charlotte Cosson & Emmanuelle Luciani sont commissaires d'exposition, historiennes de l'art et critiques d'art françaises, spécialisées dans l'art contemporain. En duo, elles sont rédactrices en chef de la revue CODE South Way et fondatrices de la communauté artistique Southway studio. Elles ont exposé leurs recherches sur les formes populaires, rurales et rustiques dans l'art contemporain dans « Pre-capital » à la Panacée de Montpellier en 2017 et présentent « Les chemins du Sud » où elles retracent une histoire de l'art du sud au MRAC de Sérignan en 2019. En 2018, à l’invitation de Neil Beloufa, elles ont été nominées pour le Prix de la Fondation d’entreprise Ricard.