Ne serait le titre de l'article recouvert d'un aplat rouge par Ernest T. (et désormais illisible à jamais), l'expression « Peinture Hard » semblerait forgé pour la réunion de Ernest T., Felice Varini et Beat Zoderer, tant leurs oeuvres se situent aux confins de la peinture, dans ses franges hard et extrêmes, défiant l'esprit de sérieux attaché à la peinture, récusant les tentations bourgeoises du tableau. Ernest T., Felice Varini et Beat Zoderer en bad boys de la peinture ? Pas si tordu à regarder comment leur amour-haine de la peinture s'exprime par l'ironie et la distance, à la manière des hard-rockeurs éructant leur amour pour le rock au travers de riffs agressifs et démonstratifs.

Exit toile, châssis, pinceaux, reléguées aussi les antiennes du minimalisme et de l'abstraction géométrique, ces trois artistes cultivent une même défiance vis-à-vis de la peinture et préfèrent arpenter les chemins de traverse ménagés dans les territoires de couleurs et de formes. Car l'exposition « Peinture Hard » n'est pas exempte d'effets picturaux et plastiques, au contraire il en est même question tout du long. De libertés arrachées aux contraintes et aux dogmatismes, l'exposition fait la part belle aux accidents, au jeu, à la surprise. Les oeuvres vampent le spectateur à coup d'évènements graphiques, piégeant le regard dans des illusions optiques et l'entendement dans des mots d'esprit.

Chez Ernest T. les nouvelles du jour sont ripolinées d'aplats approximatifs, suivant les règles que la fantaisie a bien voulu édicter. Au bon vouloir de l'artiste, la peinture recouvre ici un article du Monde surmonté de la signature de Picasso (car daté du surlendemain du décès du Maître), ou bien transforme les tableaux reproduits dans le journal en monochromes. Felice Varini dévoile une sculpture en trompe-l'oeil il, drôle de ruban de Möbius alternativement plat ou en volume, en fonction de l'angle de vue. Ambivalence encore dans les oeuvres de Beat Zoderer qui fonctionnent à double détente. Appréhendées de loin comme des exercices hardis de géométries colorées, à mesure qu'on se rapproche, la main, la technique et les assemblages se révèlent : ici des agrafes liant des bandes de mousse, là les perforations de la feuille de métal pliée, montrant par son recto-verso le contraste plaisant du rose et du jaune.

À les décrire d'un point de vue formel, les trois artistes pratiquent une peinture de surface et cloisonnée, même si ce geste s'origine pour chacun d'eux dans une intention différente : ironiquement critique chez Ernest T., optique chez Varini, dicté par le hasard chez Zoderer. La manière de penser la couleur diffère aussi sensiblement de l'un à l'autre. Ernest T. singe la palette du minimalisme, Varini emprunte ses couleurs au nuancier industriel, Zoderer se satisfait des teintes d'origine de ses matériaux.

Pour finir, les oeuvres de « Peinture Hard » battent en brèche les préjugés attachés à la peinture concrète et abstraite, notamment les reproches d'une peinture purement intellectuelle ou formelle. Elles sont chargées de vie, légères et empiriques ; toute en illusion, pourtant, elles ne mentent pas.