Quel rapport entre un tableau grand format de Françoise Pétrovitch, un assemblage incongru de Présence Panchounette, une peinture « floue » de Julien Tiberi et une sculpture en mousse de polyuréthane de Piero Gilardi ? De se trouver en présence, réunis par la galerie Semiose.

Comme dans le cabinet du collectionneur, l'éclectisme est de mise dans la proposition que formule la galerie pour la foire ArtBrussels 2017. Ou plutôt, elle s'égrène comme une histoire à multiples personnages. « Pour faire une bonne intrigue, choisissez des protagonistes aux caractères bien trempés, campez-les dans un décor approprié et laissez les évoluer. » pourrait servir de mode opératoire à ce stand.

Dans ce quatuor, le premier acteur à entrer en scène serait Présence Panchounette. Applaudi sur la foire ArtBrussels 2015 où il s'était donné en solo show, le collectif revient avec des ?uvres historiques ? forcément puisque le groupe s'est dissous en 1990 ? emblématiques de leur goût pour la collusion des genres et des registres symboliques (Guerre et Paix, soit un nain de jardin en plastique et les mémoires du Général de Gaulle), leur penchant pour le calembour (une table haricot en formica et une tronçonneuse de marque Stil devient un Meuble de style), et leur critique sociale féroce (l'Afrique de pacotille de Disco Boy revient comme un boomerang à la tête du colonisateur).

Second acteur à faire son entrée : Piero Gilardi. Membre éminent de l'Arte Povera, et brillant inventeur des « Tapis-Nature » qui ont contribué à la diffusion de son oeuvre, Piero Gilardi s'est attaché à théoriser et à orienter sa réflexion autour d'un art « habitable » et « micro-émotif ». Son grand tapis Spiaggia di Igueste (2011) d'1,50 m de côté est l'inclusion d'un morceau de nature dans la foire, une invite à s'allonger sur la plage réduite à une portion et in fine une démonstration heureuse du rapprochement entre l'art et la vie.
 
Entrent enfin en scène le couple de peintres réunis pour l'occasion, Françoise Pétrovitch, et Julien Tiberi. Elle en maestria, récemment adulée au FRAC Paca, figurant en une de Libération en décembre dernier et collectionnée par les plus grands musées. Lui en jeune premier, inaugurant là ses premières peintures en couleur, après un début de carrière largement consacré au dessin. Une série de grands tableaux à dominante verte, où des adolescents prennent des poses de leur âge, pour l'une, des tableaux abstraits où se devinent des paysages flous, pour l'autre.

Ces quatre personnages discrépants évoluent en toute liberté sur le stand, dont la scénographie s'envisage comme décor à l'intrigue. L'argument de ce vaudeville consiste en l'attraction des contraires, le rapprochement par différence ou l'associations d'idées fondées sur l'opposition. Continuellement, ces antagonismes relancent l'action : le net des ready-made de Présence Panchounette contrarie le flou des peintures de Julien Tiberi ; le dur des tableaux réfute le mou du « Tapis-Nature » de Piero Gilardi ; le sérieux des dessins d'adolescents de Françoise Pétrovitch conteste le grotesque joyeux de Présence Panchounette.
Décidément, on ne dira jamais assez combien la dialectique de l'antagonisme peut être féconde. Ou bien encore : combien est belle la rencontre fortuite sur un stand de foire d'une peinture à l'huile, d'un nain de jardin, d'un morceau de plage et d'une tronçonneuse.



Solo show : Steve Gianakos

« Face de Picasso, face de gigot, face d?amphore, face de gruyère : les filles de Gianakos n?ont pas un profil ni la vie facile. Elles trempent aussi dans un environnement nébuleux et compliqué. Cela tient à plein de choses : il y a d?abord que leur silhouette peine à s?afficher d?un seul tenant et n?évite pas les accrocs. Puis, les feuilles de papier sur lesquelles les filles sont couchées se gondolent légèrement. A force sans doute d?avoir été maculée par une gouache brunâtre ou jaunâtre, à force aussi de manipulations et d?avoir reçu sur le dos pas mal de photocopies. » disait Judicaël Lavrador à propos des créatures de l'artiste new-yorkais Steve Gianakos (1938, New York).

Depuis la fin des années 1960, les dessins, collages et peintures à l'acrylique de Steve Gianakos combinent l'innocence et la luxure, la vulgarité et la sophistication, comme pour mieux révéler l'absurde mixtion de sexualité et d'anxiété au c?ur de la condition humaine. Ses oeuvres ont l'apparence de BD vintage qui auraient dérapé : les pin-ups sont tourmentées par des escargots rampant ou des serpents à la langue bien pendue, et les petites filles ont les genoux cagneux et les jupes relevées. Grâce à l'humour, Gianakos désarme son spectateur en lui soumettant sa vision délicieusement sombre et subversive de la psyché humaine. Ses oeuvres mettent en scène, avec des manières de comique burlesque et de grivoiserie, l?arrivée en fanfare d'un peuple d'êtres recalés et décalés, dans un registre léger exempt de cynisme ou de cruauté.

Steve Gianakos s'insère dans l?histoire de l'art américain après que celui-ci a porté aux nues l?héroïsme des expressionnistes abstraits, la rigueur du minimalisme et la pompe du postmodernisme. Cet héritage « post- » informe subtilement toutes ses ?uvres, qui lorgnent conséquemment du côté du Pop art, du surréalisme et de l'abstraction.