Gauthier Leroy
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Gauthier Leroy fait prendre de l'épaisseur à nos platitudes domestiques ; en déride le train- train journalier. Une assiette constellée de mégots – impossible d'atteindre le cendrier sans quitter des yeux la télé – accueille coquillages et crustacés. Coraux nicotinés partageant les fonds marins avec une arête de poisson – sorte de version décharnée des natures mortes en céramique de Picasso, et des plats-vivarium en relief de Bernard Palissy. Naufragés du repas échoués sur une île émaillée et rêvant d'un nouveau départ. Pendant ce temps, sur le petit écran, les protagonistes de Koh Lanta crèvent de faim pour quelques heures d'aventure médiatique. Les assiettes de Gauthier Leroy sont leurs trophées. Exhibées au mur, elles véhiculent ces fantasmes de dépaysement et d'auto-suffisance. Mythologies de lave-vaisselle héritées de Stevenson et Defoe et dont on se repaît depuis nos canapés, la main dans le bol de cacahuètes.

Gauthier Leroy pratique un art bon enfant, rigolard, décomplexé dont il ne faut pas sous-estimer la perspicacité. La force du calembour visuel, la virtuosité associative. Il fabrique (lui-même) sa propre version des objets qui nous entourent, contre toute pensée eugéniste  – c'est-à-dire sans exclure par avance les éventuelles singularités génétiques, les bedonnants ou les  boutonneux. Plus les références (design, rock, architecture, histoire de l'art) sont brassées et plus la bière est bonne.  Il les fait vivre, ces « choses » ; les hybride entre elles, pour rien, pour le plaisir, pour la déconne, pour un trait d'esprit, pour la littérature, les dégageant de leurs responsabilités fonctionnelles. La quille. Enfin libres!

Un tapis se hisse au mur comme au bon vieux temps des tentures d'Aubusson. Moumoute décorative au motif circulaire dont l'artiste délègue pour la première fois la production ( à l'Atelier de tissage Vera Vermeersch). Comme sur un chantier archéologique, les différentes strates de l'élaboration sont laissées visibles. Le « passé » du motif se dévoile au fur et à mesure. Tirez sur la bobine (de fil) et se déroulent disques solaires, vinyles ou de stationnement. On s'amuse à les faire tourner mentalement telle une roue de la fortune. Un bout de parquet est intégré façon collage cubiste ; il rebondit sur un cercle noir sur fond blanc de Malevitch. Qu'est-ce qui fait décor ? Qu'est-ce qui légitime qu'une assiette quitte la table pour s'installer confortablement dans le vaisselier ; une carpette à prendre ainsi de la hauteur ? Leroy ne s'embarrasse pas des échelles (de valeur), il égalise, mixe et si le morceau sonne bien, il recommence.  


Céline Piettre