Antoine Marquis
Sub Rosa



Il faut accorder au style de la presse régionale la formule la plus juste pour qualifier l’art d’Antoine Marquis. En effet, ses dessins sont des invitations au voyage.
La destination est un songe mêlé de souvenirs sans affects. C’est un pays exotique tempéré, une Arcadie vintage en nuances de gris où la modération des sentiments fait régner une paix si édifiante qu’elle en est louche. Car cette plénitude floutée a quelque chose d’angoissant, et toute cette bienveillance est aussi suspecte que l’harmonie d’un village de vacances sous régime totalitaire. Les bonnes intentions qui pétrissent ces atmosphères doucereuses, autant d’efforts pour déguiser le prosaïque en merveilleux, faire de l’ordinaire un moment exceptionnel, « mettre les petits plats dans les grands », ne voudraient-elles pas encourager la fatalité qu’elles prétendent camoufler - rien de plus pervers en somme que de se dévouer à l’organisation d’un pot de départ en retraite - ? Les stigmates du bonheur de vivre, dont l’artiste a fait son sujet, révèlent leur nature profondément mélancolique, de sorte que la fête ne parvient à masquer le goût de l’hôpital, pendant que l’érotisme sent la poussière et les promesses d’avenir sont criantes d’obsolescence.
L’artiste ne se complait pourtant dans aucune sorte d’humeur bileuse, son unique manie étant celle du travail bien fait, ce qui est au fond le seul procès que l’on puisse faire à son art. L’application qu’il met à la célébration du dérisoire est égale à la dévotion des formateurs bénévoles pour chiens d’aveugles dépeinte ailleurs avec cette même technique d’estompe, nécessitant des heures de dessins et de gommage. Le résultat est aussi indatable qu’il est inattaquable, laissant les intensions de l’artiste – le degré de sincérité ou d’intelligence mis en oeuvre – dans l’ambivalence immanente qui définit ses images. Le seul objectif de cette répétition du geste et du motif serait justement de ne laisser aucun sentiment gagner les images qui contiennent en réserve leurs potentiels réjouissants et déprimants, pour ainsi ne jamais se lasser d’une vanité passée dans le registre du banal – ou d’une toile Chardin à une toile cirée.
 
Julie Portier