Semiose est heureuse d’accueillir dans sa Project Room un ensemble d’œuvres récentes du duo Hippolyte Hentgen. L’installation fait suite à leur solo show à l’Artothèque de Caen (Femme pratique de juillet à octobre 2022) et fait écho à leur participation à l’actuelle exposition collective au MAC/VAL, « Histoires vraies » pensée par Franck Lamy. Le tandem réalise depuis quelques mois une série de peintures, collages, installations et vidéos autour de leur nouvelle marotte : Femme pratique, une revue emblématique des années 1970. Destiné à un lectorat féminin, le magazine se partage entre modernité et conservatisme, véhiculant clichés et autres rubriques reflétant une émancipation difficile, malgré le vent de liberté de la récente révolution de Mai 68. À partir de cet ensemble de revues, Hippolyte Hentgen entremêle avec humour les paradoxes et les questions de représentation dans leurs nouvelles œuvres.

Sous son nom fictif, le duo composé de Gaëlle Hippolyte et de Lina Hentgen a mis en place une sphère de partage et un outil de mise à distance de la notion d’auteur. Comme le souligne Claire Gilman (1) : « Les œuvres qui résultent [de leur collaboration] ont un caractère anonyme et arbitraire qui les situe dans une histoire de l’art d’appropriation, bien qu’ils adoptent un aspect plus humble et humain que certains de leurs prédécesseurs plus tape-à-l’œil. Hippolyte Hentgen ne cherche pas à mettre en avant la faillite de la fabrique des images à l’heure du capitalisme consumériste : elles ont toujours clairement exprimé leur rejet de cette idée, de même qu’elles refusent l’esprit de négation associé aux théories de la mort de l’auteur. Selon elles, “il ne s’agit pas de faire disparaître les traces d’un auteur ou d’un sujet”, mais bien plutôt de laisser réapparaître des fantômes de sujets ou d’auteurs. Leur pratique est œcuménique, égalitaire : sur la surface de leur page, se mêlent avec une énergie et une joie inédites des motifs issus de diverses cultures, époques et médias. »

Elle poursuit plus loin : « Peu importe pour Hippolyte Hentgen que leurs lignes soient tracées ou non par elles, qu’elles soient le produit d’une appropriation ou qu’elles soient formées à travers les compositions de leurs collages. Elles conçoivent plutôt le dessin et le collage comme partageant le même territoire : chacun est fondamentalement modeste ; chacun refuse la fluidité de la peinture en révélant à la place l’effort qui entre en jeu dans chaque geste ou composition. Selon elles, le dessin est par nature antihiérarchique en ce qu’il est ouvert sur le monde, qu’il change en fonction de ce qu’il exprime. Tout à la fois précis, méticuleux (le nuage cartoonesque et le super-héros) et exécuté avec quelques lignes vives (les annotations en rouge), le dessin sert ce qu’il vise à représenter. De ce point de vue, il est à la fois fragile et remarquablement généreux. »


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(1) Claire Gilman, « Les gestes modestes d’Hippolyte Hentgen », dans le catalogue à paraître L'Imagier, co-édition Centre d'art Le Lait, Albi et L'Artothèque, centre d'art contemporain, Caen, 2023.


Claire Gilman est curatrice en chef au Drawing Center à New York (US).