Les animaux sauvages, on le sait, s’empressent de réapparaître dès que l’homme a tourné le dos et abandonné ses zones d’habitation. Tandis que l’on déplore l’extinction de nombreuses espèces à une vitesse inexorable, pumas, sangliers et renards sont descendus en ville au printemps 2020. Certains auraient même aperçu un ours déambuler rue d’Alexandrie… Loin des regards, des créatures plus fantastiques encore s’épanouissent au fond des océans ou à l’échelle infiniment petite : alors qu’on croyait avoir cartographié le vivant, de nouvelles espèces continuent d’être découvertes par les biologistes ou inventées par les cryptozoologues.

Nature rudérale et animaux résilients ne tarderont pas à ré-ensauvager la Terre quand le genre humain aura disparu et, à n’en pas douter, dans ce joyeux fouillis, la soupe primordiale mise à réchauffer produira quelques espèces nouvelles. D’ores et déjà, certains comportements inédits ont été anticipés par les artistes qui promènent leurs animaux dénaturés chez Semiose.

Des adaptations ont évidemment été nécessaires à ce nouveau milieu : des stratégies d’hypertrophie, de dystrophie ou d’atrophie ont été inventées, de nouvelles textures et peaux sont apparues, des alliances entre espèces ont dû être nouées. Les pingouins à becs pointus de Steve Gianakos n’ont pas tardé à réinvestir les piscines et les tapis rouges de premières, tandis que le Cyclope tellurique de Stefan Rinck darde son œil unique et ses dents crochues, et que Sébastien Gouju lance sa volée de moineaux acéphales droit dans le mur. Tels les rescapés d’une irradiation accidentelle, subsistent les créatures sur tissus iridescents de Jon Young et la silhouette solarisée – comme dessinée par le rayonnement intense de la boule de feu – d’une amazone d’Hippolyte Hentgen. Profils encore, dans les lavis d’encre Hybrides de Françoise Pétrovitch qui libèrent des équipées fantastiques et inquiétantes, des lémuriens chevauchant d’autres animaux et fusionnant à la façon de chimères.

Exceptés le monolithique Cyclope et les placides pingouins, cette faune est en mouvement, filant furtivement, chassée ou chassant, entêtée dans son désir de vivre. À son tour, l’imagination peut bien battre la campagne, courir les rues et fendre les flots, la rêverie éveillée ne se laisse pas dompter. Et tant pis pour Darwin qui, dans cette assemblée monstrueuse, n’y retrouverait pas ses petits.


Laetitia Chauvin